Il y a trente ans, un incomparable album de guitare seule* nous révéla l’immense talent de SYLVAIN LUC, dans la pureté saisissante de l’expression acoustique et de son surgissement. Trente ans après, ce nouvel album solo fait écho à ce moment inaugural, livrant de l’artiste une vision non moins essentielle et tout aussi pénétrante de sa quête de la vibration. Absolument neuve, en somme.
Paradoxe ou clin d’œil, de la part d’un musicien dont l’humour colore parfois la palette, tout commence ici par une pièce enregistrée à la guitare électrique, qui plus est en re-recording, véritable « hapax » de cet album, par ailleurs entièrement voué aux purs délices vibratoires du bois et de la corde. Mais,
judicieusement placé, ce Children’s Song #1 pourrait bien tracer la direction : l’enfance, la mémoire, la naissance de l’intrigue sonore et son déploiement, à la source de toute musique. Cela vaut aussi bien pour l’artiste lui-même, requis par la guitare dès l’âge de quatre ans, que pour ce superbe recueil de
mélodies, convoquant plusieurs décennies d’un imaginaire collectivement sollicité, interprète et auditeur compris
Dans tous les cas, c’est bien à travers le colloque singulier de cette épopée des sons, des doigts à l’oreille, de l’oreille à la mémoire, que l’intrigue se noue. Si la largeur de la perspective impressionne, embrassant tout ce que la production musicale peut charrier de pépites, elle s’impose aussi, déroulant un ruban auquel viennent se greffer, chemin faisant, quantité de souvenirs et autant d’inévitables « tranches de vie ». Est-ce une forme de « panthéon », dont Sylvain nous ouvrirait les portes, pour en faire aussitôt une maison commune ? Quelle que soit l’intention, on embarque bien volontiers à bord, en compagnie de quelques guitar heroes (Clapton, Santana, McLaughlin…),
de groupes légendaires (des Beatles à Steely Dan), de pianistes triés sur le volet (Evans, Corea, Jarrett), d’orfèvres mélodistes ou songwriters cultissimes (Legrand, Gilberto, Harrison, Carole King…). De toutes parts, la force de l’empreinte mélodique et le caractère incontournable du song (celui de Keith comme celui de Sylvain) constituent le juge suprême. L’on ne s’étonnera donc point de chavirer à l’appel de telle mélodie basque, tel standard planétaire (Over the Rainbow) ou de la Lily de Pierre Perret.
D’une même légitimité, les mots se mêlent aux sons qui en
portent la trace. Revisité par Minvielle, le tube de Murena côtoie sans sourciller le Brésil d’Airto Moreira et Flora Purim.
Car il est encore un sortilège dont nous devons la grâce à l’ébouriffant talent de Monsieur Luc. Pour traduire et transposer le mystère enchanteur de la voix (celle de Judy Garland comme celle de Lennon), toutes subtilités revendiquées (celles de João comme celles de James Taylor), nul autre moyen que la guitare
elle-même, dans l’extrême dépouillement de son plus simple appareil (des cordes, un micro).
Du trouble de l’attachement au drame d’une disparition – pour évoquer la nièce de Bill ou la mère de John –, la musique naît rarement de rien. Il lui faut de l’émotion. Elle en procède et elle y retourne. Telle est la loi du geste artistique. Son exigence et sa signature.
Si le guitariste n’abandonne rien des ressources par quoi il se distingue de tous les autres (rythme, harmonie, contrepoint : entre ses doigts, la guitare est un orchestre qu’il conduit aujourd’hui mieux que jamais), il s’abandonne ici à l’impératif mélodique avec un bonheur inégalé.
À nous prendre ainsi par la main, l’artiste finit par susciter un curieux vertige. Ne serait-ce pas nos doigts, soudain, qui évoluent tout de go sur les cordes de sa guitare ? Comment les y aurait-il posés ? Quel est ce miracle ? C’est qu’il touche au but… »
MAX ROBIN
En concert au Duc des Lombards
Mercredi 14 juin 2023 à 19h30 et 22h
Duc des Lombards : 42, rue des Lombards 75001 Paris – M° : Châtelet