Frères en musique et en vibrations, Adrien Moignard et Diego Imbert viennent à point nommé questionner l’ombre tutélaire de Django Reinhardt à l’occasion du soixante-dizième anniversaire de sa disparition. A travers douze songs dus à la plume du maître, brillamment revisités par nos duettistes, Diego et Adrien
portent très haut l’art de la conversation, fidèles à l’esprit de leur inspirateur comme à la flamme éternelle du jazz.
Les deux complices ont évidemment quelques raisons de voir leurs deux noms associés ici à l’affiche. Pour s’être frottés individuellement à tout un tas de personnalités musicales et avoir expérimenté ensemble d’insignes situations où ils formaient à eux seuls l’ossature de l’orchestre (en trio avec le violoniste Didier Lockwood, la chanteuse Anne Ducros, ou plus récemment l’accordéoniste Richard Galliano), ils collectionnent titres et atouts. Si l’un peut évidemment s’honorer d’avoir été l’un des piliers de la grande épopée du Gipsy Project de Biréli Lagrène, l’autre est aujourd’hui reconnu comme un représentant majeur de l’école de guitare jazz française issue de Django Reinhardt.
En concert au Sunset Vendredi 19 mai 2023 à 20h30
Sunset : 60, rue des Lombards 75001 PARIS – Tél. : 01 40 26 46 60
M° Châtelet – Les Halles
De la richesse de ces parcours comme de cette large expérience commune, émerge notamment une assise rythmique singulièrement naturelle et une maîtrise du tempo à toute épreuve. Car, il faut le souligner, Diego et Adrien ont fait le choix de s’exprimer sans le soutien d’une guitare d’accompagnement, assumant à eux seuls le rythme et l’harmonie, démarche peu courante dans l’univers djangoïste. « Le duo a cette particularité de nous sortir de notre fonction », avoue Diego. Par la pertinence de la sélection (balayant toute la carrière du célèbre Manouche, sans en occulter aucun recoin stratégique), tout autant que par l’acuité des relectures – finement ciselées –, leur proposition artistique s’impose avec force, via un protocole sans cesse renouvelé, adapté au matériau et à l’instant : walking bass au groove imparable (Lentement Mademoiselle), contrepoint (Douce Ambiance), jeu aux doigts (Pêche à la mouche), à l’unisson, en question/réponse… Ne sont exclus ni les thèmes les plus aventureux (Flèche d’Or), ni Concert sortie d’album les grands classiques (Manoir de mes rêves, Belleville, Nuages), ni les grandes odes au lyrisme bouleversant et aux
attendus harmoniques constamment réinventés (Tears, Anouman, Troublant Boléro…).
Dans Manoir de mes rêves, Adrien reprend note à note, comme une seconde mélodie, l’un des plus inoubliables chorus de Django, celui de 1953, à valeur prémonitoire, enregistré quelque temps avant sa mort. Une belle manière
de saluer la mémoire de ce génie de la six-cordes doublé d’un maître de l’improvisation. Le choix par Adrien de la corde nylon pour la guitare se justifie donc pleinement, profondeur et longueur de note tutoyant plus avant
l’intime, pour mieux caresser au passage la rondeur galbée et l’embonpoint majestueux de la « grand-mère » (i.e. la contrebasse). Ombre indissociable de la trame, Django aurait-il toujours le dernier mot ? « C’est toujours une
émotion pour moi de jouer la musique de Django Reinhardt », conclut notre guitariste. Pour clore – gracieusement –, et relancer, le débat.